Economie
Allemagne : comprendre l’attractivité industrielle du territoire
« L’excellence technologique allemande et l’attractivité industrielle du territoire demeurent des atouts décisifs ». Entretien avec Frédéric Berner, directeur général de la CCI France Allemagne à Sarrebruck.
Publié
4 ans agoon
Français à l’étranger : Quelle est la situation de l’emploi en Allemagne, un an après le début de la pandémie de Covid-19 ?
Frédéric Berner : L’emploi n’est pas l’indicateur de santé de l’économie allemande qui a le plus subi les conséquences de la pandémie de Covid-19 à ce stade. En effet, les mesures mises en place par le gouvernement allemand dès le mois de mars 2020 et en particulier la prise en charge du chômage partiel, toujours pratiqué par 28% des entreprises en novembre 2020 et qui aura bénéficié à 2,6 millions de salariés et coûté 19 milliards d’euros à la collectivité, mais aussi les aides directes aux PME et indépendants, les prêts garantis par l’État ou encore la levée des obligations de mise en cessation de paiement pour les entreprises en difficultés… ont permis de préserver un grand nombre d’entreprises et donc de salariés des conséquences de la baisse d’activité enregistrée outre Rhin. Ainsi, le taux de chômage qui était de 5,0% en 2019 est passé à 5,2% au 1er trimestre 2020, puis 6,0% au second et 6,3% au 3ème trimestre. Fin septembre 2020, on comptabilisait 637.000 demandeurs d’emploi de plus qu’en décembre 2019 en Allemagne, tout en restant sous la barre des 3 millions de chômeurs.
FAE : Où en est l’économie ? Quelles sont les prévisions en termes d’emplois pour 2o21 ?
F. B. : En tenant compte du second confinement, le gouvernement allemand et le conseil allemand d’experts économiques, les fameux « 5 sages », estiment que le chômage atteindra pour l’ensemble de l’année 2020 un taux de 5,9% et reculera à 5,7% en 2021. Le nombre de salariés en chômage partiel devrait alors baisser à 700.000. Pour l’économie allemande dans son ensemble, on table désormais sur un recul du PIB compris entre -5,1 et -5,8% en 2020, puis, pour 2021, une croissance située entre +3,5 et +4,4%, selon les instituts. Le retour à la production industrielle pré-crise, n’est cependant entrevue qu’en 2022. L’export devrait reculer de -10,3% sur 2020 et rebondir de +7,1% en 2021 et le déficit public devrait atteindre -6,0% en 2020, -4,0% en 2021 et -2,5% en 2022. L’Allemagne dispose néanmoins de marges de manœuvres budgétaires plus importante que la France, puisqu’elle est entrée dans la crise après six années consécutives d’excédents budgétaires, sans endettement supplémentaire, 2019 ayant été l’année du record de 19 milliards d’euros d’excédent, avec un niveau d’endettement au plus bas à 59,8% du PIB (98,1% pour la France), prévu à 82,7% fin 2020 (116,2% en France).
FAE : Quelles sont les opportunités pour les Français ? Quels sont les secteurs qui recrutent ?
F. B. : Difficile d’être affirmatif sur ce point. Bien entendu sur tout le territoire de nombreux secteurs, directement et durablement impactés par les périodes de confinement, vont mettre un certain temps à s’en remettre et à se retrouver en situation d’embauche, je pense en particulier à l’hôtellerie/restauration, à l’événementiel et à la culture, aux transports de personnes… L’industrie allemande, qui a également souffert dans de nombreux domaines comme l’automobile et l’aéronautique, conserve quant à elle des fondamentaux solides et le passage à vide que certains secteurs ont connu ne devrait pas durer. L’excellence technologique allemande et l’attractivité industrielle du territoire demeurent des atouts qui vont de pair avec une demande en compétences humaines de techniciens et d’ingénieurs toujours très élevée. Les 2.000 emplois à pourvoir sur l’usine de batteries électriques S-Volt annoncée en Sarre en 2021, qui s’ajoutent aux 12.000 emplois annoncés à terme par Tesla dans le Land de Brandenburg, en sont l’illustration concrète, dans un secteur automobile pourtant « en transition ».
FAE : Le marché du travail est-il différent en Allemagne ? Quelles sont les règles ?
F. B. : Pour augmenter ses chances de réussite, il a bien entendu un certain nombre de codes et de pratiques importantes à connaître et à respecter lorsque l’on s’apprête à postuler à un emploi en Allemagne. On pourra citer pêle-mêle : le CV, en plusieurs pages, plus précis qu’en France notamment au niveau du contenu des postes précédents, des certificats et des diplômes ; la nécessité de mettre en évidence d’un fil rouge dans son parcours qui correspondra aux attentes et aux tâches du poste à pourvoir ; la durée hebdomadaire du travail, généralement à 40 heures ; la plus grande pratique outre Rhin du temps partiel ; la discussion salariale, parfois basée sur un net après impôt ; l’absence de statut « cadre » et l’application moins systématique d’une convention collective qui règle tous les détails obligeant ainsi les candidats à valider tous les aspects extra salariaux (avantages, congés, horaires, heures supplémentaires,…)…
Généralement, les employeurs allemands, cherchent un candidat qui dispose des compétences et d’une expérience totalement en ligne avec les attentes du poste à pourvoir, mais ils sont prêts à laisser à un candidat à potentiel le temps de maitriser la fonction et de s’intégrer dans l’équipe. Vouloir trop en faire, trop vite et surtout en solo, n’est pas la meilleure manière de gagner la confiance outre Rhin. On peut également s’attendre d’un employeur allemand qu’il investisse sur vous, à travers un plan de formation suivi et régulier. La contrepartie espérée de tout ceci, outre une meilleure efficacité, est une certaine fidélité. On aime ici, les engagements mutuels dans la durée !
FAE : Quels conseils donner à un travailleur / entrepreneur français intéressé par le marché allemand ? Quelles sont les principales erreurs à éviter ?
F. B. : Malgré son fabuleux potentiel, à proximité de la France, le marché allemand, mature et très intégré, n’est pas facile d’abord. Percer en Allemagne relève d’une décision stratégique finement élaborée et inscrite dans la durée. Dans un pays empreint de continuité et de prudence, obsédé par les processus organisationnels et habitué à inscrire la relation client-fournisseur dans une logique partenariale, il est primordial de « gagner la confiance » et de la conserver. Cela passe par la démonstration d’une expertise, un positionnement clair, une réelle endurance durant les phases de test, une grande réactivité et le sens du service client y compris, voire surtout, dans la gestion des difficultés. Dans ce contexte l’implantation locale, par croissance organique ou externe, est l’un des meilleurs « boosters » sur le marché allemand.
Pour réussir, trois conseils pratiques :
- Centrer le discours sur une spécialité : les Allemands recherchent des excellences et n’apprécient guère les « touches à tout »
- Investir en marketing « germanique » : documentations de qualité et site web détaillé, communiqués on et offline, interventions experts et networking dans les forums spécialisés, adhésion aux fédérations professionnelles et clusters, coopération avec les écosystèmes R&D et universitaires…
- Soigner le ciblage en sélectionnant les prospects par analogie avec des références existantes ; développer des argumentaires adaptés à chaque cible et aller au bout des contacts sans se disperser : les Allemands ne sont pas des « early adopters » et les processus d’intégration d’un nouveau partenaire sont longs, en contrepartie d’une certaine fidélité par la suite.
FAE : Combien avez-vous de membres à la chambre de commerce ? Comment les aidez-vous à traverser cette période ?
F. B. : Nous avons actuellement 350 adhérents à la CCI France Allemagne, qui inscrivent leur relation à nous dans une certaine durée, deux tiers d’entre eux ayant domicilié chez nous une antenne commerciale ou une filiale. Nous apportons néanmoins des solutions à de nombreuses entreprises qui ne deviennent pas nécessairement adhérentes et nous utilisent pour un accompagnement ponctuel, tel le recrutement de personnel ou la recherche de cibles pour prise de participation ou rachat. Durant la période que nous venons de traverser et dont personne ne sait vraiment combien de temps elle va encore durer, les entrepreneurs que nous soutenons dans leur développement en Allemagne ont particulièrement apprécié notre disponibilité, notre réactivité, la flexibilité de nos solutions permettant d’ajuster au mieux la capacité de service avec la demande et notre capacité à trouver des solutions face à des problématiques nouvelles. Nous avons par exemple su mettre en place en un temps record, des solutions pour faciliter les formalités de chômage partiel ou les demandes d’aides pour les filiales de nos clients en Allemagne. Autre exemple, avec les difficultés de déplacement entre la France et l’Allemagne, du fait de la fermeture des frontières, puis du confinement et plus récemment des règles de quarantaine à l’entrée en Allemagne, nous avons augmenté le nombre de contrats de mise à disposition de commerciaux à temps partagé, recrutés par nous et qui agissent simultanément depuis l’Allemagne pour plusieurs PME. De chaque crise naissent des opportunités, il faut savoir les saisir et adapter son modèle. Les plus de 1.500 entrepreneurs accompagnés par CCI France Allemagne à ce jour sont pour nous, par leurs projets et leurs attentes, une fabuleuse source d’inspiration !
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